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IMMACULEE CONCEPTION

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trois acceptions du mot : Est conceptio seminum, est conccplio naturarum, est conceptio spirituaUs. Inutile deUélinir la première, assez connue des fils d’Adam. Il y a conception des natures, quand l’âme est unie au corps et que ces éléments, si hétérogènes d’ailleurs, concourent à former une seule personne. (Notons en passant, que Césaire d’Heisterbach emploie aussi rexpression dans son sermon ii" et qu’il l’explique de la même façon, mais en déterminant l’époque où, suivant les idées du temps, l’union de l’âme et du corps s’opère pour les femmes : Secundo conceptio est nuturarum, quando sexagesima die anima infunditur carni). Enfin il y a conception spirituelle, quand une personne sanctifiée reçoit, par faveur spéciale, le don de la sanctification dans le sein de sa mère charnelle, ou que, renaissant dans les ondes salutaires du baptême, elle est conçue dans le sein de notre sainte mère l’Église.

Ces notions établies, Neckam répond aux adversaires de la nouvelle fête : Pourquoi ne pourrait-on pas légitimement vénérer Marie en raison de sa conception spirituelle, c’est-à-dire de sa sanctification dans le sein de sa mère ? Quis enim inficiari poterit de iure sollenipnitatem instaurandam esse ratione sanc(iflcationis qiia beata Virgo sanctiftcala est in utero ? La fêle, il est vrai, se célèbre le huit décembre, mais, par une inlerprétalion juridique fondée sur certaines analogies, ne peut-on pas reporter l’instant de la conception charnelle et celui de la conception des natures à l’instanl de la conception spirituelle ? Interprétation bonne ad hominem, mais qui ne maintenait pas la fête de la Conception telle qu’elle était comprise par ceux qui s’appuyaient sur la révélation faite à l’abbé Hc’lsin, révélalion que Neckam prétendait respecter : Absit etiuin ut fabulosam esse pronuntiemus aut scntiamus illarn revelationem que abbati elsino fada esse perhibetur. Il ajoute donc qu’on peut aussi vénérer la conception de Marie proui ipsi intelligunt, en rapportant la solennité au jour même oh la Vierge commença d’être conçue. Là il se retrouve, surlieaucoup de points, en communauté d’idées et d’arguments avec Eadmer, Abélard et les autres. Au moment où la parcelle de chair qui formera le corps de la mère de Dieu commence à jouir d’une existence propre, n’y a-t-il pas lieu de se réjouir et de rendre grâces à Dieu, surtout si l’on a égard aux circonstances merveilleuses qui ont précédé ou accompagné cette conception première ? Si l’on vénère à bon droit les ossements des saints, ne peut-on pas vénérer aussi ce germe précieux ?

L’objection déjà indiquée : Ecce in iniquilalibus conceplus sum, et in peccatis concepit me mater mea, revenait naturellement ici, et plus forte. L’abbé de Girencester rappelle la doctrine que, dans son enseignement puljlic, il a professé sur l’acte conjugal : fait par un motif louable, cet acte peut être méritoire de la vie éternelle ; que dire donc, quand il est accompli par un couple tel que saint.Joachim et sainte Anne ? Peut-être dira-t-on que même dans ce cas, l’acte ne peut avoir lieu sans qu’il s’y mêle au moins quelque faute vénielle ; mais pourquoi ? quelle impossibilité y a-t-il à ce que, accompli sous l’impulsion du Saint-Esprit et en esprit d’obéissance, l’acte soit exempt de tout péché ? A supposer même que la paille du péché véniel en fût inséparable, suivrait-il de là qu’il ne pourrait y avoir dans le fruit ni valeur ni vertu ? Et l’apologiste de conclure : Ils n’agissent donc pas d’une façon indiscrète, mais louable, ceux qui célèbrent avec piété et dévotion la conception c’e la mère de Dieu. Neckam fait des réserves ; il refuse de suivre certains partisans de la fête, ceux qui, pour expliquer comment la chair de Marie fut pure dès le début, recouraient à la théorie, exposée col. 1019, d’une

préservation médiate en Adam : aslruendo non tolam carnem prothoplasti esse corruptam, sed quamdam particulam in pristina munditia pcrstilisse reseroatum, ut ei anima béate Virginis tempore preordinato infunderetur. Et comme le germe réservé à Marie avait dû rester pur au cours des siècles, il avait fallu que dans aucun de ses ancêtres, il n’y eût eu une chair entièrement corrompue : nullius igitur patrum tota corrupta est, ut aiunl, ex quibus per carnalem propagalionem beata Virgo descensura, sed in quolibet illorum reservabatur predicta particula, non solum manda, sed mundissima. L’abbé de Cirencester rejette cette explication pour des taisons théologiques d’inégale valeur ; la plus notable est que, dans cette hypothèse, la bienheureuse Vierge aurait été, dès le premier instant de son existence, exempte de toute tache du péché, soit originel soit actuel, et c’est là un privilège exclusif du Christ : Secundum et hanc tradilionem immunis fuit beata Virgo, semper ex quo fuit, ab omni labc pcccati et originali et actuali. Sed hoc soli Christo convenire asseueramus. Ce n’est pas que l’exemption parfaite de toute tache du péché ait manqué à Marie, mais elle n’a joui de ce privilège insigne qu’après l’incarnation du Verbe : Rêvera ex quo Verbum in ipsa conceptum est, plenissime ab omnilabe peccati mandata est, quia ipsa mundicia, qui est filius Dei, ipsam replevit, ipsam mundavit.

Est-ce à dire que jusqu’à cemoment-là, l’âme de Marie aurait été souillée du péché originel ? Ce n’est évidemment pas la pensée d’un théologien qui soutient ex professa la sanctification de la Vierge dans le sein de sa mère. Ce qu’il nie directement, c’est l’absence de toute tache dès le début, sans doute parce qu’il considère la concupiscence comme inhérente à toute chair humaine, celle du Sauveur exceptée. S’ensùivait-il pour Neckam, indirectement et par voie de conséquence, que l’âme de Marie contracta elle-même la tache héréditaire au moment où elle fut unie à cette chair soumise à la loi du péché ? Tout dépend du sens qu’il donnait à l’affirmation émise auparavant : Sanclificala est igitur beata Virgo in utero materna posl anime infusionem. Entendait-il une postériorité dans le temps ou une simple postériorité de nature. Dans le second cas, il n’aurait pas nié le privilège tel qu’il a été défini ; dans l’autre, il l’aurait nié, et c’est là ce que semblent supposer les expressions dont il se sert. Il est vrai qu’au t. IV, c. xvi, il appHque à Notre-Dame ce verset du Cantique : Tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te. Mais il parle alors de son assomption, et il n’emploie pas les mots que Guillaume de Ware lui attriljue : neque actualis neque originalis. Il ne parle que du péché véniel, et pour le temps qui suivit l’incarnation du Verbe : Attendens filius desiderium matris, eam ad se vocal ; prias iamen osiendil in ipsa nullam esse maculam, ut evidens sil eam dignam esse præsentia régis omnium. Anima enim que cum macula venialis culpe recedit ab ergastulo corporis, Iransibit per ignem purgatorii, ibi purganda antequam conspectui régis presentetur, licet virtutum claritale multa refulgeat. Ex quo beata Virgo tota in corpore et in anima mundata concepit ipsam munditiam, nulla fait in ca macula eiiam venialis culpe. Tota pulchra fuit ex quo effecta est mater pulchritudinis. Plus claire encore est la conclusion, quand on rapproche des passages précédents une glose sur le psaume iv, citée par le P. Noyon, p. 221 : Anima ergo eius statim ex quo infusa est corpori originale habuit peccatum, ex quo mundata est in utero. Dès lors la conception spirituelle s’oppose, non seulement à la conception charnelle, mais encore à ce que Neckam appelait la conception des natures (conception consommée), et la fête, envisagée de ce point de vue, n’est plus, à proprement parler, qu’une fête de la sanctification

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