Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présentait, qu’il savait les langues mortes et vivantes, et qu’il n’était étranger à aucun genre d’érudition. Il devait donc savoir gré aux hommes qui avaient gouverné son enfance de lui avoir appris les langues[1], qui sont la clef des sciences, d’avoir mis leur application à l’en instruire[2], de lui avoir ainsi ouvert l’entrée d’une profonde et agréable érudition. Mais quels étaient ces hommes ? Il ne l’a jamais dit.

Les oratoriens le réclamaient comme un des leurs[3] : des mémoires particuliers, que l’on conservait dans leur bibliothèque, marquaient qu’il avait été de l’Oratoire. On possède encore les listes des prêtres de l’Oratoire et de tous ceux qui furent admis aux exercices de piété de la maison de Paris : ainsi on trouve le nom de Jean de la Fontaine parmi les jeunes gens du séminaire de Saint-Magloire[4] ; mais on ne trouve nulle part le nom de Jean de la Bruyère. Il est possible que la Bruyère fût simplement élève dans une maison de l’Oratoire : car les listes que nous avons ne donnent pas les noms des élèves. On peut donc accorder aux oratoriens l’honneur d’avoir fait l’éducation de la Bruyère. Du moins jusqu’ici personne n’a pu le leur disputer. C’est pour cela peut-être que certains écrivains[5] ont cru que la Bruyère avait été quelque temps ecclésiastique. En effet, chez les oratoriens on respirait, selon Bossuet[6], l’air le plus pur de la discipline cléricale. M. de Bérulle n’avait voulu donner à l’Oratoire d’autre esprit que l’esprit de l’Église, ni d’autres règles que ses canons, ni d’autres supérieurs que ses évêques, ni d’autres biens que sa charité, ni d’autres vœux que ceux du baptême et du sacerdoce. L’Oratoire avait pour but la perfection chrétienne et sacerdotale. L’éducation que les oratoriens donnaient aux enfants devait les préparer à cette profession sublime où une sainte liberté fait un saint engagement, où l’on obéit sans dépendre, où l’on gouverne sans commander, où toute l’autorité est dans la douceur, et le respect s’entretient sans le secours de la crainte. « La charité, qui bannit la crainte, fait, dit Bossuet, un si grand miracle ; et, sans autre secours qu’elle-même, elle sait non seulement captiver, mais encore anéantir la volonté propre. » Assu-

  1. Chap. XII, n° 19.
  2. Chap. xiv, n° 71.
  3. Bibliothèque des écrivains de l’Oratoire, par M. Adry, t. I, p. 230, mss. de la Bibliothèque nationale, fonds français, n° 25681.
  4. Mss. du P. Batterel de l’Oratoire. Archives nationales, registres MM 610 et suivantes.
  5. Bulletin du bibliographile, 1855, p. 52, article Leroux de Lincy.
  6. Oraison funèbre du P. Bourgoing, par Bossuet, prononcée le 20 décembre 1662.