Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/43

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tures[1], et sa parole sans art et sans éclat, n’avaient rien d’oratoire : « il expliquait l’Évangile au peuple uniment et familièrement ».

Le même genre d’éloquence simple et familière, dans la prédication de l’Évangile, était bien plus marqué dans les sermons du P. le Jeune, dont on venait de publier la première édition. Il abondait en images populaires et en comparaisons sensibles, et s’en servait avec un bon sens ingénu[2]. Les yeux fixés sur ses auditeurs, le missionnaire mesurait ses paroles à leurs besoins ; il était toujours près d’eux, avec eux, et ne pensait qu’à eux. Depuis saint François de Sales, personne n’avait mis dans la prédication évangélique plus de simplicité, plus d’expérience et de charité. — Voilà l’idéal que la Bruyère rêvait ; vingt-cinq ans après, il le regrettait encore en disant[3] : « Jusqu’à ce qu’il revienne un homme comme lui, les orateurs et les déclamateurs seront suivis. »

Parmi les orateurs, la Bruyère mettait le P. Senault, qui succéda au P. Bourgoing, comme supérieur général de l’Oratoire. C’était le propre fils du fameux Senault, l’un des Seize de la Ligue ; il était né à Anvers, pendant que son père exilé y demeurait avec le lieutenant civil de Paris Mathias de la Bruyère. Il est possible que le P. Senault n’ait pas été étranger à l’entrée de Jean de la Bruyère dans une des maisons de l’Oratoire, mais il ne fut peut-être pas étranger non plus à sa sortie. Dans son traité de la monarchie[4], le P. Senault posa des principes politiques d’un sage libéralisme, qui devaient plaire à notre auteur ; dans son traité des passions, il expose un système que la Bruyère ne devait guère goûter ; dans ses sermons[5], il déployait une éloquence dont le jeune moraliste démêla facilement l’artifice et l’habileté.

De l’école du P. Senault était Mascaron, comme Bourdaloue était de l’école de Lingendes. Il faut voir dans Mme de Sévigné la manière dont on allait les entendre, Mascaron à Saint-Gervais et Bourdaloue à Notre-Dame, en 1671. Ou plutôt il faut écouter la Bruyère, qui observa cette lutte oratoire avec un esprit aussi clairvoyant que Mme de Sévigné. Les deux témoignages sont parfaitement d’accord et se

  1. Chap. xv, n° 3.
  2. Jacquinet, Des prédicateurs français avant Bossuet.
  3. Chap. xv, n° 3.
  4. Chap. de la tyrannie.
  5. Vie du P. Senault, par Cloysault.