Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/46

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moins parmi les vivants, je n’en vois pas que la Bruyère pût raisonnablement comparer aux premiers hommes apostoliques. La célébrité de Jean de Gomon nous est attestée par les mémoires de l’intendant Foucault[1], d’une manière qui ne laisse pas de place au doute. J. de Gomon fut chargé des affaires des héritiers du cardinal Mazarin ; il fit partie de la commission nommée en 1665 pour réformer la justice ; et il contribua pour sa bonne part à rédiger l’ordonnance civile de 1667. Georges Duhamel nous est signalé aussi comme un des avocats les plus habiles de son siècle. On cite de lui[2] des plaidoyers qui passaient alors pour des chefs-d’œuvre. On en a même traduit en latin pour les conserver à la postérité[3]. Il fut choisi par Louis XIV pour travailler aux ordonnances générales. On assure que, peu de temps avant sa mort[4], il avait préparé l’ordonnance du commerce de 1673. La dignité de son caractère égalait son mérite. La noblesse de son emploi, l’indépendance de sa profession, son talent de parole, sa science et ses grands services[5] le mettaient certainement au niveau de la magistrature de longue robe. Il fut nommé conseiller d’État, place honorable qu’il refusa[6] par une modestie plus honorable encore. Mais il y avait loin de là à la vertu héroïque des premiers apôtres de l’Église. Ce qui excuse l’illusion du jeune avocat[7], c’était de voir à côté d’avocats sérieux, laborieux, qui ne craignaient pas de se délasser quelquefois au théâtre de leurs pénibles travaux, une foule d’avocats sans causes, qui faisaient semblant d’en être accablés et affectaient une austérité de mœurs aussi fausse que ridicule[8] ! « Vous moquez-vous de rêver en carrosse, ou peut-être de vous y reposer ? Vite prenez votre livre ou vos papiers, lisez, ne saluez qu’à peine ces gens qui passent dans leur équipage ; ils vous croiront plus occupé ; ils diront : « Cet homme est laborieux, infatigable ; il lit, il travaille jusque dans les rues ou sur la route. » Apprenez du moindre avocat qu’il faut paraître accablé d’affaires, froncer le sourcil, et rêver à rien très profondément ; savoir à propos perdre le boire et le manger ; ne

  1. Publié par M. Baudry dans les Documents inédits de l’histoire de France.
  2. Journal des Audiences, année 1667.
  3. Dictionnaire historique de Morèri, article Duhamel.
  4. Savary, préface du Parfait négociant, 1675.
  5. Chap. vii. n° 5.
  6. Histoire du Barreau de Paris, par Gaudry, t. I, p. 409, 431, 482.
  7. Lettre à M. de Gaumont. Opuscules de Fleury, Paris, 1807.
  8. Chap. vii, n° 6.