Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/50

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n’admettait point qu’elle pût se tromper[1]. Elle avait voulu restituer la médecine grecque et latine ; ce but atteint, elle s’y arrêta obstinément. Cependant tout marchait autour d’elle, on découvrit la chimie, l’anatomie et la physiologie moderne : elle repoussa ces sciences comme des hérésies. Le gouvernement fut obligé de les faire enseigner, malgré ses plaintes, au Jardin du Roi[2]. Guy Patin, qui était le plus éloquent orateur de la Faculté et le plus ferme champion de l’orthodoxie médicale[3], rejetait l’opium comme poison, le thé comme impertinente nouveauté du siècle, l’antimoine comme l’ennemi du genre humain, et le quinquina, ce qui était bien pire à ses yeux, comme poudre des jésuites : il réduisait son symbole aux deux articles signalés par Molière, saigner et purger. La querelle entre l’ancienne et la nouvelle médecine éclata à propos du vin émétique d’antimoine. La Faculté avait proscrit l’antimoine en 1566. Dès 1652 Gueneau l’employait comme remède ; la Faculté voulut expulser de son sein ce docteur téméraire. Il ne pouvait calculer combien de gens mouraient de la saignée ; on calcula combien l’antimoine faisait de martyrs[4]. Enfin plainte fut portée au parlement contre les apothicaires qui vendaient ce poison[5]. Le parlement soumit la question à la Faculté, qui, après de longs et orageux débats, reconnut qu’on pouvait, dans certains cas, se servir de l’antimoine pour guérir les maladies. « Ces messieurs disent, écrit Guy Patin[6], qu’un poison n’est point un poison dans les mains d’un bon médecin. Ils parlent contre leur propre expérience, car la plupart d’entre eux ont tué leurs femmes, leurs enfants et leurs amis. Quoi qu’il en soit, pour favoriser les apothicaires, ils disent du bien d’une drogue dont ils n’oseraient goûter. Je me console, parce qu’il faut qu’il y ait des hérésies[7] afin que les bons soient éprouvés. » La Bruyère ne pouvait supporter cette science orgueilleuse qui ne doute de rien, et s’attribue l’infaillibilité, comme si elle était inspirée par Dieu lui-même. « Un bon médecin, dit-il[8], est celui qui a des remèdes spécifiques,

  1. Flourens, Histoire de la découverte de la circulation du sang, 1854, p, 189.
  2. Annales du muséum d’histoire naturelle, t. I, p. 12.
  3. Guy Patin, t. I, p. 424 ; ibid., p. 383.
  4. Boileau, Satire IV.
  5. Martyrologe de l’antimoine, par Guy Patin.
  6. Paris, 30 juillet 1666, t. III, p. 609-610.
  7. Première épître de saint Paul aux Corinthiens, c. IX, v. 19.
  8. Chap. xiv, n° 66.