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L’INTERVIEW FALLACIEUSE

Victor et moi le rôle de Gustave. Malheureusement, nous ne songeâmes point, avant de nous mettre à l’ouvrage, à nous entendre sur le choix du sujet, de sorte que notre pièce, telle qu’elle est, présente de rares qualités d’incohérence qui semblent la désigner au théâtre national de la Ville-Evrard.

— Oh ! comme c’est curieux, ce que vous racontez-là !

— Attendez, ce n’est pas tout. M. Raoul Ponchon s’était dit : « M. Alphonse Allais a l’habitude d’écrire en prose, je vais donc écrire le rôle de Victor en prose. » Moi, de mon côté, je n’avais pas manqué de me faire cette réflexion : « M. Raoul Ponchon parle la langue des dieux aussi bien que si c’était la sienne propre (as well as if it is his own) ; il ne manquera de la faire parler à son héros, faisons de même. » Et je mis dans la bouche de Gustave mes plus lapidaires alexandrins. Il se trouva donc que nous nous étions trompés tous les deux. D’où mille remaniements à opérer, portant sur le fonds de notre œuvre et aussi sur la forme.

Le petit reporter crut comprendre que notre entrevue avait assez longtemps duré. Il tira de sa poche une pièce de 2 francs, dont il frappa, à coups saccadés, le marbre de la table, dans le but évident d’appeler, sur lui, l’attention du garçon et de lui verser le montant de son vermout.

Je le conjurai de n’en rien faire.

— C’est ma tournée, ajoutai-je en souriant finement.