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des barricades au bagne

sous-officier de garde entra dans la salle et se dirigea vers ce groupe ; je le vis retirer de dessous sa tunique des bouteilles et des victuailles. Deux autres voyages du même genre furent par lui encore effectués. Je me pris à songer que les « petites dames » avaient bien fait les choses, et je continuai à observer. Mais il était dit qu’une fois encore la compagnie de mon co-délégué Muraz me serait fatale. Mangeant avec lui, je le priai de prendre notre frugal repas avant la nuit, mais il continua à causer avec ses voisins de salle. J’insistai à nouveau et il vint enfin s’accroupir le dos au mur. Je lui faisais face, lorsque j’entendis marcher derrière moi ; je me retournai vivement et vis Langelle, habillé en sous-offîcier ; près de lui, un carnet sous le bras, se tenait Lagrange. Non loin de la porte se trouvait le nouveau factionnaire, car le poste venait d’être relevé. Quant aux prisonniers, à part deux ou trois, ils étaient couchés et s’apprêtaient à dormir.

Avec une rare adresse, Langelle avait à peu près grisé les hommes de son groupe et, ceci fait, avait revêtu l’uniforme qui venait de lui être apporté par les deux visiteuses. Quant à Lagrange, il jouait le rôle d’entrepreneur de maçonnerie et, comme, par suite de l’absence d’une partie du carrelage de la salle, un enfoncement s’était produit près de la sortie, Langelle, s’adressant à Lagrange, lui dit :

— Monsieur l’entrepreneur, il est donc entendu que vous enverrez vos ouvriers demain matin, et ils commenceront les réparations en comblant ce trou et en carrelant cette place.

— Il en sera fait ainsi que vous l’indiquez, répondit Lagrange.

Je m’étais levé, anxieux, me demandant ce que j’allais faire ; comprenant que cette évasion ruinait mon projet.

Langelle, suivi par Lagrange, s’adresse alors au factionnaire :

— Ouvrez-moi la porte, car on m’attend à la Prévôté.

Le soldat obéit à l’ordre qui lui était donné et les deux prisonniers sortirent.

J’avais assisté, muet, angoissé, à cette scène. Je