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mémoires d’un communard

celle que j’avais tant tourmentée, tout en l’adorant.

Au milieu de mes quotidiennes tribulations, lorsque mes pensées évoquaient le troublant souvenir de cette séparation douloureuse, du fond de mon être s’élevaient comme des reproches : il m’apparaissait que j’avais imposé beaucoup trop de souffrances à cette mère incomparable, dont la vie n’avait été qu’un long martyre, et je maudissais l’impossibilité où j’étais de cicatriser la plaie de son cœur, de veiller sur sa vieillesse, de lui rendre une partie — oh ! combien faible — des soins et de l’amour dont elle avait entouré ma prime jeunesse et mon adolescence plus qu’agitée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quelques heures avant mon départ du dépôt des condamnés, il m’était réservé d’éprouver une surprise peu ordinaire.

Assis sur le banc de pierre placé près des cellules des condamnés à mort, je lisais un livre quelconque, que venait de me prêter le perruquier, lorsqu’un prisonnier vint près de moi et, d’une voix très basse, me demanda :

— Citoyen, me reconnaissez-vous ?

Je fixai l’individu qui m’adressait cette question et ne pus m’empêcher de pousser cette exclamation :

— Comment, c’est vous !…

Il mit un doigt sur ses lèvres pour m’indiquer de parler bas.

— Mais pourquoi m’avez-vous adressé la parole ? lui demandai-je alors.

— Vous voyant, je n’ai pu m’en empêcher, car je me souviendrai toujours de votre attitude le soir de notre évasion des Grandes-Ecuries…

— Oui, interrompis-je, je vois maintenant que mon sacrifice fut bien inutile : Lagrange a été fusillé, après s’être volontairement remis entre les mains de ses bourreaux, et vous, vous voilà à la Roquette !…

— Chut, me dit-il, je ne suis pas ici sous mon vrai nom, ni pour l’affaire en question.

— Pourquoi y êtes-vous donc ?

— Pour vol ; mais attendez que je vous explique la chose.

Et l’ex-sergent du 88e de ligne, Langelle, car c’était