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LES AVENTURIERS DE LA MER

qui les ramena des îles du Cap-Vert à Brest ; et enfin à Brest même où eut lieu l’enquête réglementaire relative au naufrage en mer du Fœderis-Arca.

Aucune contradiction n’éveilla les soupçons de personne : la perte du trois-mâts fut donc considérée comme un sinistre ordinaire et les neuf survivants se dispersèrent dans diverses directions.

Cependant M. Napoléon Aubert, frère de l’infortuné second, et marin comme lui, avait étudié avec soin le procès-verbal d’enquête. Rendu clairvoyant par sa fraternelle douleur, il trouvait étrange que le capitaine et l’unique officier du bord se fussent réservés la baleinière, en ne conservant avec eux que le cuisinier et le mousse.

À quoi bon la baleinière ? les deux autres embarcations suffisaient largement pour quinze hommes. Si le capitaine a le devoir de s’embarquer le dernier, il a le devoir aussi de prendre le commandement de la chaloupe. Celui du canot revient au second qui aurait pu s’embarquer dès le commencement. Le mousse et le cuisinier ne sont pas de ceux que l’on garde en réserve. Il y avait dans tout cela des invraisemblances choquantes pour un marin, — l’indice d’un crime. Après s’être concerté avec plusieurs capitaines au long cours, qui partagèrent son opinion, M. Aubert sollicita une contre-enquête.

Elle eut lieu au mois de mars 1865, à Nantes, où se trouvait dans sa famille le novice Julien Chicot, le seul qui n’eût pas encore repris la mer. Interrogé par le directeur des mouvements du port et par le commissaire de marine, le pauvre garçon s’efforça de répondre selon les leçons de Lénard et de Carbuccia. Mais doublement terrifié par les menaces de ses complices et par les nouvelles recherches de l’autorité maritime, Chicot, qui avait pris une part subalterne aux actes criminels, se troubla, se contredit, et prévenu qu’on le rappellerait au besoin, tomba dans une tristesse profonde.

Sa mère en fut frappée. — Il voulut lui donner le change, elle ne le crut point, le harcela de questions, et lui ayant arraché le récit complet des événements, n’hésita pas à lui ordonner de tout révéler à la justice.

— Mais je risque d’être condamné à mort, moi aussi !

— Eh bien, tu te repentiras, et ton âme éternelle sera sauvée !

Vaincu par la pieuse fermeté de cette mère énergique, le novice obéit et révéla au juge d’instruction les crimes qui s’étaient succédé à bord du Fœderis-Arca.