Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
LES AVENTURIERS DE LA MER


C’était un peu avant que l’ouragan fût dans son plus fort. Ce moment d’épreuve arriva : les ponts se soulevèrent sous l’inclinaison du vaisseau, les épontilles partirent, la membrure craquait, les bas mâts paraissaient fatiguer beaucoup. À tribord, à bâbord, derrière, devant, la plus grande partie des bastingages avait volé à la mer ou s’était abattue sur le pont.

Toutefois, si grosse que fût cette mer démontée, elle eût pu l’être bien davantage, en raison de la violence du vent. De minute en minute, des lames plus fortes venaient déferler avec bruit le long du bord. Au plus terrible moment de la tourmente, le feu Saint-Elme, effroi des matelots superstitieux, parut plusieurs fois tout au haut de ce qui restait de la mâture.

Enfin, à dix heures du soir, la tempête mollit. L’intensité du vent diminua d’une manière très appréciable. Le baromètre commença à remonter rapidement. Une demi-heure après, on pouvait prévoir la cessation de l’ouragan. Un éclatant météore traversait le ciel, et son large disque lumineux fixait tous les regards surpris…

Mais l’eau qui avait pénétré dans la cale et gagné le parquet de la machine, empêchait la machine de fonctionner. On dut gouverner à la lame avec des lambeaux de voiles. Une voie d’eau était-elle ouverte ? On n’y songea pas d’abord : tant de lames avaient passé par-dessus bord, qu’il en devait bien rester dans la cale ! Ce ne fut qu’au matin, par une mer très houleuse, que l’on constata que le vaisseau menaçait de couler. Toutes les pompes furent mises en jeu, l’équipage entier forma des chaînes d’épuisement. Ces efforts eussent été vains, si le capitaine Pagel n’eût enfin soupçonné que la coulisse fermant à bâbord le tuyau d’évacuation des eaux de condensation, avait été emportée par le grand mât de hune dans sa chute, et que la mer entrait dans la cale par là. Cela pouvait constituer une ouverture d’un mètre carré environ.

Il ne se trompait pas, et son inspiration fut le salut du vaisseau ; Le charpentier construisit à la hâte une coulisse en bois, lestée de gueuses de fer, et, pour la mettre en place, un marin, — un noir de nos colonies — fit preuve d’une rare énergie et d’un courage à toute épreuve ; il fallut le descendre, attaché par des cordes, le long des flancs du vaisseau. Cette opération périlleuse réussit au-delà de toute espérance.

L’Eylau fut ramené en France par son habile commandant, moins glorieux peut-être d’avoir conservé à l’État l’un de ses grands navires, et d’avoir sauvé ses passagers malades et son équipage, que de rap-