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punition, l’a rendu incomplet et petit par un côté. Initié à la vie de la nature et à la vie de l’individu, Gœthe ne comprend pas la vie historique, l’évolution des peuples. Et quels pas de géants ont fait toutes les sciences de la nature et de l’intelligence depuis le cénacle de Weimar ! comme le point de vue du siècle a changé, comme notre univers physique et moral est plus complexe et plus riche ! — Mais c’est encore Schiller qui nous comprendrait le mieux !


XLIII. — L’ÉQUILIBRE.


J’ai remarqué un phénomène consolant : quand nous tendons à nous fermer une perspective, à devenir incomplets, exclusifs, en oubliant quelque aspect de la vérité, quelque élément de la vraie vie, presque toujours une lecture ou une circonstance fortuites viennent rouvrir ce sens endormi et ramener à l’harmonie intérieure ; — fortuites, disais-je, n’est-ce pas plutôt providentielles ? La nature morale, comme la nature physique, tend à l’équilibre.


XLIV. — COMPENSATION.


L’âme ne se met guère à toutes ses fenêtres à la fois, et, par une sorte de compensation instinctive, redevient d’autant plus discrète sur un point, qu’elle a montré plus de hardiesse sur un autre. Quand le regard ou la voix parle, alors la parole se tait ; quand le discours accorde, le chant refuse ;