Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/30

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pit les gracieusetés. Colin était dans la cave avec le gros de ses hommes, qu’il occupait à culbuter les margotins, à vider les sacs de charbon et à retourner les fûts. La besogne était rude. Il appela à l’aide les trois fainéans, qui quittèrent à regret la belle dame et les bouteilles. On resta deux heures à fouiller la cave. Enfin, lassé, déçu, furieux, Colin défonça à coups de crosse les tonneaux pleins, et, quittant la cave inondée de vin, donna le signal du départ. Marcel les suivit jusqu’à la grille, qu’il ferma sur leurs talons, et courut annoncer à Fanny la délivrance.

Elle, penchant la tête dans la ruelle, appela tout bas :

— Monsieur Franchot ! monsieur Franchot !

Un long soupir lui répondit.

— Dieu soit loué ! s’écria-t-elle. Monsieur Franchot, vous m’avez fait une peur affreuse. Je vous croyais mort.

Ses nerfs se détendirent, et elle éclata de rire.

Elle donna un peu d’air à son pauvre ami et lui conseilla de remercier Dieu.

— Si je croyais en Dieu, répondit, le bonhomme un peu ranimé, je ne lui pardonnerais pas d’avoir fabriqué des créatures semblables à celles que vous venez de voir. Pour moi, il m’a suffi de les entendre. Ce sont des scélérats dépourvus de toute philosophie.

Ils attendirent qu’il n’y eût plus de lune et, quand la nuit fut noire, les deux hommes sortirent par la petite porte du jardin.

Anatole France.

(À suivre.)