Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle a songé qu’elle avait là dans quatre tiroirs de quoi envoyer à la guillotine elle et cinquante personnes, et elle s’est résolue à brûler toute sa correspondance. C’est cette nuit qu’elle a choisie pour cette tâche qu’elle ne pourra accomplir (elle le sait) sans de profondes et tristes songeries.

Son enfant dort chaudement dans le cabinet voisin ; la cuisinière et Nanon sont retirées dans leur chambre. Le grand silence des temps de neige règne alentour. L’air vif et pur active la flamme du foyer. C’est cette nuit que Fanny a choisie pour brûler ses papiers.

Ils sont en ordre, car elle met dans tout ce qui l’entoure l’exactitude de son esprit. Voici ses lettres d’enfant, les complimens qu’elle faisait chaque année à sa grand’mère qui, toujours immobile dans son fauteuil à oreilles, épiait à la fenêtre les jeunes voisines en disant son chapelet. Voici les petits vers que son père fit pour elle quand elle vint au monde. Voici le livre ou sa mère écrivit les prières du Sacré-Cœur, des recettes contre la migraine et les dépenses de sa maison. Voici les lettres du jeune mari dont l’amour lui fut si doux et la laissa si pure. Voici rangée en petits paquets, la correspondance de ses vieux amis : elle en avait beaucoup ; elle était, malgré sa jeunesse, sûre confidente et bonne conseillère.

Ces lettres, qu’elle feuillette, sont signées avec un grand paraphe : Franchot, laboureur. Le pauvre ami y parle de marier les capucins, de fesser les jésuites et de régénérer le monde par la raison.

« L’homme, dit-il est une machine perfectible comme toutes les machines. Il faut l’améliorer par la science comme on améliore les montres et les tourne-broches. » Elle ne peut s’empêcher de sourire. Puis elle déchire ces lettres par petits morceaux, et la pensée du bon-