Page:Anatole France - Balthasar.djvu/115

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et chantant à tue-tête. Nous passâmes sous la poterne, puis, ayant jeté notre baluchon au pied des Michelettes, nous nous assîmes côte à côte sur une de ces vieilles bombardes de fer que la pluie et l’embrun écaillent depuis cinq siècles. Là, promenant des vieilles pierres au ciel son regard vague, et balançant ses pieds nus, il me dit : « J’aurais voulu vivre du temps de ces guerres et être un chevalier. J’aurais pris les deux Michelettes, j’en aurais pris vingt, j’en aurais pris cent ; j’aurais pris tous les canons des Anglais. J’aurais combattu seul devant la poterne. Et l’archange saint Michel se serait tenu au-dessus de ma tête comme un nuage blanc. »

Ces paroles et le chant traînant dont il les disait me firent tressaillir. Je lui dis : « J’aurais été ton écuyer. Le Mansel, tu me plais ; veux-tu être mon ami ? » Et je lui tendis la main, qu’il prit avec solennité.

Au commandement du maître, nous chaussâmes nos souliers et notre petite troupe gravit la rampe étroite qui mène à l’abbaye. À mi-chemin, près d’un figuier rampant, nous vîmes la maisonnette où Tiphaine Raguenel, veuve de Bertrand du Guesclin, vécut, au péril de la