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quinze ans j’étais un médiocre psychologue ; mais l’orgueil de Le Mansel était trop subtil pour qu’on pût en être frappé tout d’abord. Il s’étendait sur de lointaines chimères et n’avait point de forme tangible. Cependant il inspirait tous les sentiments de mon ami et il donnait une espèce d’unité à ses idées baroques et incohérentes.

Pendant les vacances qui suivirent notre promenade au Mont-Saint-Michel, Le Mansel m’invita à passer une journée chez ses parents, cultivateurs et propriétaires à Saint-Julien. Ma mère me le permit, non sans quelque répugnance. Saint-Julien est à six kilomètres de la ville. Ayant mis un gilet blanc et une belle cravate bleue, je m’y rendis un dimanche, de bon matin.

Alexandre m’attendait sur le seuil, en souriant comme un petit enfant. Il me prit par la main et me fit entrer dans la « salle ». La maison, à demi rustique, à demi bourgeoise, n’était ni pauvre ni mal tenue. Pourtant j’eus le cœur serré en y entrant, tant il y régnait de silence et de tristesse. Là, près de la fenêtre, dont les rideaux étaient un peu soulevés, comme par une curiosité timide, je vis une femme qui me sembla