Page:Anatole France - Balthasar.djvu/144

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a, et ce qui peut les faire oublier, ce n’est pas le vin qu’on boit, c’est le bonheur qu’on donne aux autres. Mais Francœur était un vieil homme blanchi sous le harnais, fidèle, plein de mérite, et les deux maîtres d’écriture et de grammaire devaient cacher ses faiblesses au lieu d’en faire à la duchesse un rapport exagéré.

— Francœur est un ivrogne, disait le maître d’écriture, et, quand il revient de la taverne du Pot-d’Étain, il fait en marchant des S sur la route. C’est d’ailleurs la seule lettre qu’il ait jamais tracée ; car cet ivrogne est un âne, madame la duchesse.

Le maître de grammaire ajoutait :

— Francœur chante, en titubant, des chansons qui pèchent par les règles et ne sont sur aucun modèle. Il ignore la synecdoche, madame la duchesse.

La duchesse avait un dégoût naturel des cuistres et des délateurs. Elle fit ce que chacun de nous eût fait à sa place : elle ne les écouta pas d’abord ; mais, comme ils recommençaient sans cesse leurs rapports, elle finit par les croire et résolut d’éloigner Francœur. Toutefois, pour lui donner un exil honorable, elle l’envoya à Rome chercher la bénédiction du pape. Ce