Page:Anatole France - Balthasar.djvu/210

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mérite et n’est guère sensée. Je devrais rire de son peu de jugement ; mais je l’aime, et je n’ai de goût à rien au monde parce qu’elle ne m’aime pas.

Pendant de longs jours le roi Loc erra seul dans les gorges les plus sauvages de la montagne, roulant dans son esprit des pensées tristes et parfois mauvaises. Il songeait à réduire par la captivité et la faim Abeille à devenir sa femme. Mais chassant cette idée presque aussitôt après l’avoir formée, il se proposait d’aller trouver la jeune fille et de se jeter à ses pieds. Il ne s’arrêtait pas non plus à cette résolution et il ne savait que faire. C’est qu’en effet, il ne dépendait pas de lui qu’Abeille vînt à l’aimer. Sa colère se tournait tout à coup contre Georges de Blanchelande ; il souhaitait que ce jeune homme fût emporté bien loin par quelque enchanteur, ou du moins, s’il devait jamais connaître l’amour d’Abeille, qu’il le méprisât.

Et le roi songeait :

« Sans être vieux, j’ai vécu déjà trop longtemps pour n’avoir pas quelquefois souffert. Mais mes souffrances, si profondes qu’elles fussent, étaient moins âpres que celles que