Page:Anatole France - Balthasar.djvu/213

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divine, et, loin d’être comme nous des ouvriers pleins d’allégresse, ils préfèrent la guerre au travail et ils aiment mieux s’entretuer que s’entr’aider. Mais il faut reconnaître, pour être juste, que la brièveté de leur vie est la cause principale de leur ignorance et de leur férocité. Ils vivent trop peu de temps pour apprendre à vivre. La race des Nains qui vivent sous la terre est plus heureuse et meilleure. Si nous ne sommes point immortels, du moins chacun de nous durera aussi longtemps que la terre qui nous porte dans son sein et nous pénètre de sa chaleur intime et féconde, tandis qu’elle n’a pour les races qui naissent sur sa rude écorce qu’une haleine, tantôt brûlante, tantôt glacée, soufflant la mort en même temps que la vie. Les hommes toutefois doivent à l’excès de leur misère et de leur méchanceté une vertu qui rend l’âme de quelques-uns d’entre eux plus belle que l’âme des Nains. Cette vertu, dont la splendeur est pour la pensée ce qu’est pour l’œil le doux éclat des perles, ô roi Loc, c’est la pitié. La souffrance l’enseigne et les Nains la connaissent mal, parce que, plus sages que les hommes, ils ont moins de peines. Aussi les Nains sortent-ils parfois de leurs grottes pro-