Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/104

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avec une attention qui absorbait complètement mes facultés. D’ardentes curiosités m’attiraient tour à tour sur quelque sujet et m’y retenaient corps et âme. C’est ainsi que, cette année-là, pendant les trois semaines qui suivirent la rentrée des classes, je fus captivé par la reine Nitocris. Je ne pensais qu’à elle, je ne voyais, je ne respirais qu’elle. Les sujets composant les programmes, les thèmes, les versions, les narrations, les fables d’Ésope, les vies de Cornélius Népos, les guerres puniques ne m’étaient de rien. Je demeurais étranger à tout ce qui ne touchait pas à la reine Nitocris. Jamais amour ne fut plus exclusif. Au déclin de ce sentiment (car rien ne dure) ma mère un jour m’ayant donné une branche de gui, en me disant que c’était la plante sacrée des druides, je ne vis plus, durant des semaines, que forêts profondes, blanches prêtresses, faucilles d’or et corbeilles de gui. Puis ce furent les abeilles d’Aristée qui me possédèrent, et les pommes d’or du jardin des Hespérides. Ces occupations de mon esprit m’ôtaient toute apparence d’intelligence, et l’on conçoit qu’en cet état je ne pouvais inspirer beaucoup d’estime à M. Beaussier mon professeur, homme juste, d’un caractère grave