Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/112

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absolument inférieur, d’une infériorité dégradante, et je lui témoignais autant de dédain, je l’accablais d’autant d’ironies que ma douceur naturelle et ma perpétuelle étourderie en laissaient à ma disposition.

M. Beaussier, je le proclame, et ses actions le crient plus haut que moi, M. Beaussier était un homme juste. Sa Thémis pouvait être sans lumière et sans grâce, mais elle tenait égaux les plateaux de ses balances. La circonstance singulière que je vais rapporter prouve que M. Beaussier jugeait sans haine et sans amour et que parfois son verdict lui coûtait de grandes douleurs. Voici le fait : un samedi, un étrange samedi, M. Beaussier annonça que j’étais premier en version latine. Il l’annonça d’un ton grave, avec tristesse, dans un profond abattement. Il donna à entendre que c’était fâcheux, que c’était regrettable, que c’était immoral. Mais enfin, il l’annonça, il le proclama, et cette place enfin qu’il s’affligeait de voir occupée par moi, c’est lui qui me l’avait décernée. La version, paraît-il, était difficile. Les plus habiles s’étaient égarés en maint endroit. Ils avaient cherché et n’avaient pas trouvé. Mon étourderie m’avait servi. Je n’avais, à mon