Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/118

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rougeur de ses joues égalait l’éclat de la braise. Je lui annonçai que la Saint-Charlemagne n’était qu’un repas de cancres, d’oisons et de types inférieurs, et qu’on n’y servirait ni paons, ni cerfs, ni sangliers, mais de la morue et des haricots. J’entrepris de lui démontrer que Mouron pour-les-petits-oiseaux était bête comme un pot. Tandis que je parlais, elle souleva le couvercle de la marmite ; puis, le visage aveuglé d’une vapeur ardente, saisit sur la cheminée une poignée de sel, renversa une bouteille d’huile sur sa tête, heurta la table, fit tomber la lampe et s’étala de tout son long sur le carreau sonore. De telles mésaventures survenaient trop fréquemment pour qu’elle y prît garde. Mais il était difficile d’avoir une conversation suivie avec une personne si accidentée.

Le jour de la Saint-Charlemagne se leva humide et sombre. Le banquet se célébrait dans le réfectoire du collège, où je n’avais jamais pénétré, mais dont l’odeur fade et grasse, quand je passais devant les portes, me soulevait le cœur. Justine disait que j’avais le cœur délicat. La grande salle, garnie de longues tables de marbre noir, était ornée de guir-