Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/122

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Où est-elle ? Dans quel pays ? Sur la terre ou dans la lune ? Je n’en sais rien. Et pendant qu’elle se promène, Dieu sait où, tu fais un bien triste déjeuner, mon pauvre petit Mouron, à côté d’un corps sans âme, d’une statue de cire qui ne parle ni qui ne rit, puisque c’est une statue. Qu’est-ce que tu dis de cela, pauvre petit Mouron, pauvre petit Mouron pour-les-petits-oiseaux ?

Au début de cette minuscule comédie, je m’étais armé de dédain pour mieux résister aux avances de mon voisin, mais la grâce de sa voix et de sa pensée, le charme de son âme, douloureuse et douce, opérèrent sur mon cœur qui fut retourné. Je sentis soudain que Mouron l’emportait sur moi par les dons les plus rares et les plus précieux de l’esprit et du caractère et je me sentis enflammé pour lui d’une tendresse ardente. Je ne pus trouver une parole ; mais il lut en moi et je vis son fin visage s’éclairer d’un sourire de joie. En une seconde, nous étions devenus des amis intimes. Nous nous étions tout dit. Je connaissais Mouron comme si je ne l’avais pas quitté d’un jour.

Mouron pour-les-petits-oiseaux, Jacques