Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/152

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vocation, je me résignais par avance à accomplir d’humbles tâches, et, pour conformer ma destinée à ma nature, j’aspirais à la médiocrité. Mais cette médiocrité concernant les choses ne s’étendait pas aux idées ; j’aspirais à tout voir, tout savoir, tout sentir, à renfermer le monde entier en moi, désir qui ne devait pas être pleinement satisfait.

Chazal se joignait souvent à nous. Nous méprisions l’inélégance de son esprit, mais il nous fallait reconnaître sa rude et simple bonté. Moqué à l’envi par ses maîtres et ses camarades pour son parler antique, son accent berrichon, son ignorance des arts et des lettres et son bon sens dont tous les traits portaient, souvent rossé, malgré sa force musculaire dont il n’abusait pas, Chazal gardait sa tranquillité, la possession de soi et cette sereine gaîté qui prenait sa source au dedans de lui-même. Chazal n’aimait que la campagne ; issu de gros propriétaires, il se destinait à faire valoir les biens de sa famille. J’aimais la campagne autant qu’il pouvait l’aimer, mais non pas de la même manière. Il l’aimait en paysan laborieux et âpre. Il cherchait en elle l’effort et le gain. Et moi, je demandais à la nature de