Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sauvage, je ne voyais mes hôtes que pendant les repas qu’ils prolongeaient beaucoup trop à mon gré. Les lenteurs du café et du pousse-café si douces aux campagnards m’étaient insupportables. J’avais hâte de regagner ma solitude peuplée de figures de rêve et de courir dans la campagne.

Le village longeait la grand’route au midi et descendait au nord vers un étang que les papillons blancs traversaient par couples, et un petit bois avec des restes de haute futaie qui faisait mes délices. À cinq cents pas de ce bois s’élevait au milieu de ses douves, où des myriades d’insectes dansaient le soir, le château de Saint-Pierre, habité par les choucas. Ses plafonds s’étaient effondrés et les vastes cheminées, qui restaient accrochées aux murs, marquaient seules la hauteur des étages. J’y revenais sans cesse et escaladais les ruines qui chantaient au vent.

J’étais étrangement changé et ne me reconnaissais pas moi-même. Dans mes courses rapides, je me déchirais avec volupté aux ronces des haies. Peu aisé jusqu’alors dans mes mouvements, je grimpais aux arbres comme un chat et passais des journées entières