Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/174

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coulait entre les toits, les dômes et les clochers, et on la voyait dans le lointain bleuâtre perdre son filet d’argent entre les verts coteaux. J’avais sous mes pieds quinze cents ans de gloire, de vertus, de crimes et de misères, ample sujet de méditation pour mon esprit encore informe et malhabile. Je ne sais à quoi je songeai, mais quand j’arrivai dans la vieille Sorbonne mon tour était passé. De mémoire d’appariteur, rien de pareil ne s’était vu encore. Je m’accusai. On ne me crut pas. La vérité parut invraisemblable et l’on m’inscrivit en queue de liste. Les examinateurs étaient fatigués et maussades. À cela près tout se passa bien. On me demanda de prouver l’existence de Dieu ; je le fis aussitôt. Un examinateur, fort savant homme, nommé Hase, montra plus d’esprit que ses collègues. Renversé sur sa chaise, les jambes croisées, et caressant son magnifique mollet, il me demanda si le Rhône ne se jetait pas dans le lac Ontario. Je n’osai lui dire non de peur d’être incivil et gardai le silence, sur quoi il me reprocha de manquer d’idées en matière de géographie.

Je secouai la poussière de mes souliers sur le seuil de la vieille Sorbonne.