Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/201

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ta paresse. Il faut s’exercer, tout est là. Tiens, fais tout de suite un exercice. Je te donnerai des conseils et tu seras étonné toi-même de tes progrès.

J’eus le malheur de lui laisser voir, par un refus trop brusque, que cet exercice me serait désagréable. Il s’en doutait déjà ; quand il en fut sûr il s’acharna. Il rangea la table, les chaises et jusqu’au lit dans un désordre qui voulait figurer le prétoire, bouscula mes livres, bouleversa mes papiers, renversa mon encrier, vida mon pot à eau sur le tapis et, me poussant violemment entre le mur et la table de toilette ravagée, me cria d’une voix impérieuse :

— Reste là ! C’est la barre. Tu es le défenseur. Je suis le juge ; tu prendras la parole quand je te la donnerai.

Il était à faire peur.

Je m’émerveillais tous les jours de ma facilité à trouver des professions qui ne me convenaient pas. C’est un exercice auquel j’excellais. Ainsi, j’estimais beau d’être ingénieur, j’estimais beau de conduire, à l’aide des mathématiques appliquées, des travaux d’art tels que ponts, chaussées, machines, et d’être l’âme de milliers d’ouvriers. Les ingénieurs jouissaient