Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/206

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Je continuai, comme Jérôme Paturot, à chercher une position. Je ne pus me résoudre à suivre le conseil du bon Chazal. J’aimais la campagne, je l’aimais avec des frissons, des langueurs et un trouble délicieux. J’étais destiné à n’aimer qu’elle. Je devais y couler les années les plus douces de ma vie. Mais les temps n’étaient pas révolus. Je ne consentais pas à quitter sans retour la cité des arts et de la beauté, les pierres qui chantent.

J’avais d’ailleurs une bonne raison de ne pas cultiver mes terres : je n’avais pas de terres.

Mais, si je ne pouvais pas être laboureur, instruit par l’expérience à ramener mes vœux à la médiocrité, je souhaitai d’être marchand. Ce qui m’y inclinait, c’est que j’avais trouvé en quelques romans anglais du XVIIIe siècle des marchands qui faisaient assez bonne figure dans leur habit de drap rouge ou marron, avec leurs entrepôts pleins de caisses et de ballots. J’avais vu au Théâtre-Français, dans une pièce de Sedaine, un négociant très digne, qui menait grand train et portait dans sa maison une superbe robe de chambre. J’avais rencontré aussi dans la vie réelle des négociants qui avaient bon air. Enfin, résolu à me faire mar-