Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/223

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sans grâce. Je m’en allai triste et confus.

Mais, dès que je fus dehors, le vent frais, l’air subtil, le ciel riant m’emplirent de gaîté et d’oubli. J’aimais ma grand’ville, que je me peignais en miniature dans mon cœur pour l’embrasser tendrement ; j’aimais ma royale rivière de Seine, si sage, si contenue dans ses atours de pierre, et d’une beauté citadine ; j’aimais les grands quais illustres et familiers, bordés de platanes réguliers, de vieux hôtels et de palais. Ils s’enveloppaient alors de calme et de silence, ces beaux quais. Alors, la vulgarité tapageuse des trams n’en troublait pas la majesté. Je pris le pont de fonte gardé par quatre femmes de pierre qu’on ne vit jamais sourire ; je traversai la cour du Louvre où s’élevait, criant notre histoire par toutes ses pierres, le palais des Tuileries, cruellement incendié dix ans plus tard par des vaincus, puis rasé par des bourgeois malfaisants. Ayant franchi le guichet de l’échelle et traversé la rue de Rivoli, je m’engageai dans un dédale de rues étroites et tortueuses qui depuis sont tombées sous la pioche, et atteignis le coin de la rue Sainte-Anne et de la rue Thérèse. Là, M. Dubois habitait, depuis son enfance,