Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/292

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comme nous qui se croyaient transportés dans un monde enchanté.

Madame Airiau, que j’allai voir à son jour, n’était certes pas aussi simple de manières que les dames que j’avais entrevues dans les vieux hôtels froids du faubourg, mais elle se rendait beaucoup plus agréable. Mince et pâle, elle représentait fort bien une héroïne d’Octave Feuillet. Les femmes regrettaient qu’elle eût le teint gâté. Mais elle y remédiait et je ne voyais sur ce joli visage que des yeux de violette, un nez fin et une bouche mélancolique. Sa tristesse arrangée, mais réelle, intéressait. Madame Airiau n’était pas heureuse. D’esprit littéraire, elle parlait de Mireille avec des larmes, des regards noyés. Je ne lui déplus pas et je n’ai point à m’en cacher, car cette inclination pour moi ne peut que donner une idée avantageuse de cette dame, tant ma gaucherie, ma timidité, mon embarras, ma défiance de moi-même me communiquaient les apparences de la vertu et les dehors de l’innocence.

Madame Airiau me prêta, un jour, la Vita Nuova qu’elle admirait et dont je fus ravi sans y comprendre grand’chose. Mais on ne saura jamais combien, en littérature, il est inutile de