Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/309

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présenté on ne m’invitait plus. Il y avait pourtant un salon où je ne semblais pas trop déplaire : c’était celui de madame Airiau, femme de l’ingénieur que je devais accompagner dans un de ses voyages d’exploration en Asie. Elle recevait en son riche appartement de la place Vendôme des artistes, des hommes de science, des hommes d’affaires et des femmes de diverses qualités, que rehaussaient toutes l’éclat des bijoux et la majesté de la crinoline. Je crois qu’il y venait beaucoup de juifs ; mais on n’y faisait pas attention, tant alors il y avait peu d’antisémitisme en France. Que dis-je ? On considérait les juifs pour avoir rempli, avec les Fould et les Péreire, les plus hauts emplois dans le gouvernement de juillet et au début de l’Empire. On recevait dans ce salon des étrangers, Turcs, Autrichiens, Allemands, Anglais, Espagnols, Italiens, et personne n’y trouvait à redire. Paris était, sous Napoléon III, l’auberge du monde. On y traitait avec une cordiale magnificence les hôtes venus de tous les pays du monde. Rien n’y annonçait la xénophobie qui plus tard assombrit la troisième république, ces haines, ces soupçons, fruits empoisonnés de la défaite, que la victoire, après cinquante ans, multiplia et qui, mainte-