Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/314

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n’était pas belle mais que j’aimais, je fus rempli de dégoût. Tout ce qui n’était pas elle m’était insipide ou odieux et je ne savais où loger le fantôme que j’avais rapporté.

Le lendemain matin, je le retrouvai, ce fantôme.

J’allai à la Bibliothèque Nationale et demandai les livres qui m’étaient nécessaires. J’avais à écrire une notice sur Paolo Ucello. Incapable de réflexion, sans empire sur mon intelligence, je m’acquittai de ma tâche convenablement, et connus ainsi que pour réussir un travail d’esprit, une application machinale, quand on a des dispositions naturelles, suffit et que, le plus souvent, c’est par une lâche paresse qu’on attend l’inspiration. Nous étions le 6 mai ; je fixai au 14 ma visite à l’atelier de la rue Basse-du-Rempart. En attendant, mon obsession se fit de jour en jour plus apaisée et plus aimable. Je sentis que j’avais tort de revoir celle qui m’avait laissé son ombre, mais je ne revins pas sur mon propos. Le 14 mai, je fis ma toilette avec un soin singulier et choisis ma plus fraîche cravate. J’avais deux épingles : l’une figurait une fleur d’émail mi-close entre deux feuilles d’or, l’autre était faite d’une médaille