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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/331

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rice de la reine. Il a raison de dire que les hommes sont attachés à cette vie, pour mauvaise qu’elle est, et il n’a pas tort de dire que les fables que l’on sème sur les choses de l’autre monde effraient. Mais moi, qui ne crains pas les Enfers et qui ne me laisse pas abuser par des fables, je doute s’il ne me reste pas quelque attachement pour cette vie qui brille sur la terre, et où je n’ai pas goûté, en plus de trois quarts de siècle, un seul jour de bonheur. Entends cela, mon ami : bien que le sort m’ait épargné les grands maux dont il est prodigue à tant de mortels, bien que je n’aie éprouvé ni maladie cruelle, ni deuils qui condamnent la nature, je ne voudrais pas recommencer un seul jour de ma vie. Et pourtant, te dis-je, je doute si je n’attends pas, contre toute raison, quelque bien, quelque agrément de cette vie dont j’ai dépassé le terme ordinaire. En cela, je suis homme. On aime la vie. Et il me faut reconnaître, sinon par expérience personnelle, du moins par raisonnement, que cette chienne de vie (le mot est de madame de Sévigné) a quelquefois du bon, bien que je ne m’en sois pas aperçu. Elle a du bon, puisque, ne connaissant qu’elle, c’est d’elle que nous