Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/345

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femme dans un salon vous étalait sans fin des feuillets de la Revue des Deux Mondes. Les sujets que touchait Jeanne Lefuel étaient petits, il est vrai, mais le trait dont elle les dessinait les grandissait démesurément. Elle contait le plus souvent des aventures de coulisses, des rivalités de théâtres et d’amour, des fureurs de femmes jalouses, des amitiés de comédiennes, brisées, réparées et de nouveau rompues en une soirée, moins encore, des farces de cabotins, un œuf glissé furtivement en scène, par Pyrrhus, dans la main d’Andromaque, et la veuve d’Hector, cet œuf tantôt dans la paume droite, tantôt dans la paume gauche, tendant au roi d’Épire des bras suppliants.

Et vous prononcerez un arrêt si cruel !…

Cet art délicieux de dessiner ses moindres causeries, elle le devait à sa nature ; elle le devait ensuite à sa profession qui enseigne à voir et à sentir, habitue aux formes et aux caractères des choses. Que d’agréables moments j’ai passés, grâce à elle, dans la grande salle nue et mal éclairée du Théâtre des Muses !

La répétition finissait vers minuit et les gens raisonnables se retiraient. Alors nous