Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tandis qu’autour de nous pendaient de vastes draperies d’ombre. Parfois, tout à coup, sans raison, prises de terreur, ces femmes s’enfuyaient éperdues, criaient et tourbillonnaient comme de grands oiseaux, se cherchaient et se repoussaient les unes les autres, s’empêtrant dans leurs jupes, tombaient, appelaient leur mère et faisaient des signes de croix. Et cinq minutes après, c’était, autour de la table bondissante, des exclamations joyeuses, des cris de surprise et de grands éclats de rire. Et cela jusqu’à deux heures et demie du matin.

Il me restait alors à reconduire Jeanne Lefuel rue d’Assas où elle demeurait. Ce n’était pas l’affaire d’un moment. Il fallait d’abord trouver un fiacre, opération pénible et chanceuse, surtout quand il pleuvait. Si l’on était heureux, au bout d’un quart d’heure ou de vingt minutes, on arrêtait un sapin à rideaux rouges, monté par un vieux cocher à carrick, qui conduisait une haridelle boiteuse, ou, pour parler plus proprement, un horrible canasson. Dans cet équipage, il fallait bien une heure pour atteindre les abords du Luxembourg. Je ne m’en plaignais pas. Nous étions seuls et la conversation était plus intime. Je lui parlais