Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/90

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dépens de l’Université, mais, opposé à l’Empire, il regardait avec défiance les présents d’un ennemi, et ne savait plus que penser. Sa réserve m’empêchait de former mon idée par le moyen ordinaire, qui était de prendre le contre-pied de la sienne. Mais j’étais pour les lettres qui me semblaient faciles, élégantes et amies, et je ne feignais d’avoir à résoudre une grande difficulté que pour me donner de l’importance et ne pas paraître moins sérieux que Fontanet. Je dormis fort paisiblement. Le lendemain matin, trouvant Justine qui balayait la salle à manger, j’affectai un air sombre et lui dis d’une voix grave :

— Justine, cette année, j’entre dans les classes supérieures. C’est l’année de la bifurcation. J’ai une grande résolution à prendre qui décidera de toute mon existence. Pense donc, Justine : la bifurcation.

En entendant ces mots, la fille des Troglodytes s’appuya sur son balai comme la Minerve au Décret sur sa lance, demeura pensive et, jetant sur moi un regard consterné, elle s’écria :

— C’est-il, Dieu, vrai ?

Elle entendait pour la première fois ce mot