Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/93

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ment et préférais, je l’ai déjà dit, suivre les lettres comme plus flottantes et légères. La vue d’une figure de géométrie, loin d’éveiller ma curiosité, m’engourdissait de tristesse et offensait ma sensualité puérile. Un cercle, passe encore ; mais un angle, mais un cône ! Fréquenter ce monde triste, sec, anguleux, hérissé, tandis qu’il y a du moins, dans les classes de lettres, des formes et des couleurs, et qu’on y devine, par moment, des faunes, des nymphes, des bergers, qu’on y entrevoit les arbres chers aux poètes et l’ombre qui, le soir, tombe des montagnes, comment montrer un si farouche courage ?

Aujourd’hui, ce stupide mépris de la géométrie, je l’abjure humblement à vos pieds, vieux Thalès, Pythagore, roi fabuleux des nombres, Hipparque, vous qui le premier tentâtes de mesurer les mondes, Viète, Galilée, vous qui, trop sage pour aimer la souffrance, avez néanmoins souffert pour la vérité, Fermat, Huyghens, curieux Leibnitz, Euler, Monge, et vous, Henri Poincaré, dont j’ai contemplé le visage muet, lourd de génie, ô les plus grands des hommes, héros, demi-dieux, devant vos autels j’apporte mes vaines louanges à