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CATHERINE THÉOT

d’initiation et selon des rites d’une solennité naïve.

Les catéchumènes devaient être en état de grâce et avoir renoncé aux plaisirs charnels. Ils se prosternaient aux genoux de la Mère pour recevoir, les mains jointes et les yeux baissés, l’imposition sacramentelle des sept dons de Dieu, l’un au front, deux aux yeux, deux aux joues, le sixième sur la bouche et le septième sur l’oreille gauche.

Il faut tout dire. Les fidèles qui faisaient leurs dévotions dans le grenier de la rue Contrescarpe y trouvaient la Mère de Dieu, assistée d’une acolyte qu’on appelait l’Éclaireuse et qui était jeune et jolie. On a conservé son nom : c’était la veuve Godefroy. Un témoin nous la montre vêtue de blanc, le visage et le cou brillant sous un voile diaphane et psalmodiant l’épître de la messe sur le ton d’une visitandine de Gresset. On disait avec malignité que la belle Éclaireuse était destinée à remplacer, par un miracle concerté, la Mère de Dieu au moment où la vieille prophétesse rajeunirait pleine de grâce.

On ajoutait même qu’on tenait toute prête, pour succéder à madame Godefroy, dans l’office d’éclaireuse, une jeune fille de dix-huit ans, nommée Rose, et que les contemporains du poète Vigée comparaient à la reine des fleurs dont elle portait le nom. Dom Gerle habitait tout proche, dans la ci-devant rue Saint-Jacques, dite alors rue Jacques, la maison d’un menuisier, comme Robespierre. Ce chartreux était devenu un doux jacobin. Tout porte à croire qu’il avait gardé l’ingénuité rêveuse de son premier état et qu’il ne songeait point à mal quand l’Éclaireuse et la belle Rose, pour le prier à déjeuner, lui