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LA VIE LITTÉRAIRE

Je citerai encore ces délicieuses images des vergers du ciel, où l’on retrouve la poésie du Cantique des Cantiques, alanguie et quintessenciée.

MONSTRANCES

Les étoiles sont peu visibles dans les villes,
Aldébaran clignote, Arcture est partiel ;
Les falots rougeoyants de nos lanternes viles
Éclipsent la splendeur maternelle du ciel.

L’endroit de contempler est la campagne sainte,
Custode du regard solitaire et sans bruits,
Où dans le cadre obscur de la rurale enceinte
Les vergers constellés tendent leurs brûlants fruits.

Leurs grappes de clartés, leurs pulpes de lumière,
Raisins mystérieux, pêches du verger pur.
Dont la vendange prête et la récolte altière
Tirent la soif du cœur vers l’ivresse d’azur.

Sûr lieu de savourer les récoltes profondes,
De moisson éternelle, et de goûter les sucs
Du berceau radieux de la treille des mondes
Dont les pampres flambants ne sont jamais caducs.

Vrai seuil du rendez-vous des astres et des âmes,
Quand l’œillade s’échange entre l’homme et les cieux,
Où l’espalier divin a des treilles de flammes
Dont les feux sont des pleurs et les grains sont des yeux.

La deuxième partie de ce poème, que je comparais tout à l’heure à la tapisserie fée où l’on voit tant de choses de la nature et de l’homme, représente la chauve-souris humaine passant sur la lune symbolique. Et pour le poète, l’homme chauve-souris c’est l’être inégal à ses rêves, incertain entre le génie et la folie, c’est celui qui mêle l’exquis au monstrueux. Le type le plus parfait de ces âmes amphibies est, selon le poète, le roi Louis de Bavière,