Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/192

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première fois que je voyais un spectacle si commun, mais c’était la première que je le voyais avec une curiosité si affectueuse et si intelligente. Je reconnus qu’il y avait entre l’insecte et la fleur toutes sortes de sympathies et mille rapports ingénieux que je n’avais pas soupçonnés jusque-là.

L’insecte, rassasié de nectar, s’élança en ligne hardie et je me relevai du mieux que je pus, et me rajustai sur mes jambes.

— Adieu, dis-je à la fleur et à l’abeille. Adieu. Puissé-je vivre encore le temps de deviner le secret de vos harmonies. Je suis bien fatigué. Mais l’homme est ainsi fait qu’il ne se délasse d’un travail que par un autre. Ce sont les fleurs et les insectes qui me reposeront, si Dieu le veut, de la philologie et de la diplomatique. Combien le vieux mythe d’Antée est plein de sens ! J’ai touché la terre et je suis un nouvel homme, et voici qu’à soixante-dix ans de nouvelles curiosités naissent dans mon âme comme on voit des rejetons s’élancer du tronc creux d’un vieux chêne.