Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/180

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lage. Il maintenait l’ordre public dans l’étendue de son ressort, intervenait dans les causes des églises et des mineurs et était fort entendu en chicane. Ayant épousé demoiselle Marie Duclaie, il eut de ce mariage cinq fils, qu’il éleva de son mieux, occupé qu’il était tout le jour des affaires du roi.

Antoine-François, le second des cinq frères, venu en ce monde, où il devait avoir tant d’aventures, le Ier jour d’avril de l’an 1697, dut être à sa naissance l’occasion de plus d’une épaisse plaisanterie parmi les bonnes gens du bailliage. On ne manquait pas en ce temps-là de donner des poissons d’avril ; le Trévoux le dit. Il grandit et fut mis, quand il eut l’âge, au collège d’Hesdin, qui était alors dirigé par les jésuites. Il apprit tout ce qu’on voulut et usa comme il faut du Novus apparatus et des autres livres du P. Jouvency, alors dans leur nouveauté. Les petits pères, voyant qu’il était intelligent, voulurent se l’attacher. Ils lui enseignèrent les Vies des Saints de l’ordre et l’histoire des Missions, lui remplirent la tête de miracles et de supplices. Ils furent insinuants, persuasifs, selon leur coutume ; ils caressèrent et menacèrent à propos et gagnèrent l’enfant. M. le procureur, qui entendait que son fils fût instruit aussi bien qu’aucun autre, l’envoya à Paris pour qu’il doublât sa rhétorique au collège d’Harcourt. La fleur des écoliers du royaume y venait s’initier aux plus beaux secrets de l’éloquence latine, et ce n’était pas la faute des régents du lieu si tous leurs écoliers ne faisaient pas de petits Quintiliens. Antoine devint quelque chose d’approchant.