Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/312

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dit Brantôme, plus que son pain quotidien ; ce qui, à vrai dire, eût été assez peu, car il jeûna plus d’un jour. C’était Panurge, mais Panurge dans la lune. Cet étrange garçon avait la tète pleine de visions. Tous les héros et toutes les dames de la renaissance et du romantisme se logèrent dans sa cervelle, y vécurent, y chantèrent, y dansèrent ; ce fut une sarabande perpétuelle. Il ne vit, n’entendit jamais autre chose, et ce monde sublunaire ne parvint jamais que très vaguement à sa connaissance. Aussi n’y chercha-t-il jamais aucun avantage et n’y évita-t-il aucun danger. Pendant qu’il traînait en haillons sur les routes et que le froid, la faim, la maladie le ruinaient, il était perdu dans un rêve enchanté ; il se voyait en pourpoint de velours, il buvait dans des coupes d’or et contemplait les éblouissements d’une féerie romantique. Ce pauvre diable avait un bon et grand cœur. Au milieu de ses prodigieuses illusions, il était enflammé de toutes sortes de belles amitiés. Il se montra toujours reconnaissant envers les poètes, auxquels il emprunta son gai savoir et la révélation de sa propre nature, envers les amis qui s’inquiétaient de son incroyable dénuement dont il ne s’apercevait pas lui-même, et enfin envers l’admirable femme qui lui révéla, à la dernière heure, l’amour le plus noble et le plus pur et qui donna à sa fin des consolations indicibles. Chemin faisant, il fit des vers joyeux, brillants, spirituels, tournés avec un art à la fois savant et facile, et qui sont d’un poète. C’en est assez, ce me semble, pour qu’on rappelle en quelques pages la vie de ce Don Quichotte de la poésie romantique,