Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/103

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de tout mystère. Pourtant, cette personne si raisonnable racontait à qui voulait l’entendre un fait merveilleux dont elle avait été témoin.

En visitant son père, aux Récollets de Versailles, elle avait connu Mme de Laville, qui y était prisonnière. Quand cette dame fut libre, elle alla habiter rue de Lancry, dans la même maison que ma grand’mère. Les deux appartements donnaient sur le même palier.

Madame de Laville habitait avec sa jeune sœur nommée Amélie.

Amélie était grande et belle. Son visage pâle, décoré d’une chevelure noire, avait une incomparable beauté d’expression. Ses yeux, chargés de langueur ou de flammes, cherchaient autour d’elle quelque chose d’inconnu.

Chanoinesse au chapitre séculier de l’Argentière, en attendant un établissement dans le monde, Amélie avait éprouvé, disait-on, dès le sortir de l’enfance, les douleurs d’un amour qui ne fut point partagé et qu’elle fut obligée de taire.

Elle paraissait accablée d’ennui. Il lui arrivait de fondre en larmes sans raison apparente. Tantôt elle restait des journées entières