Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/115

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à demi couverte de vigne vierge et de giroflée et près de laquelle s’élève depuis plusieurs années cette jolie maison blanche que nous habitâmes pendant deux mois d’été, l’année de notre mariage. Ce furent deux mois heureux. Comme il s’y trouvait un vieux piano, tu y jouais du Mozart tout le jour, ma chérie, et, grâce à toi, une musique spirituelle et charmante, qui s’envolait par les fenêtres, animait cette vallée, où l’homme de la caverne n’avait entendu que les miaulements du tigre.

Ma mère posa sa tête sur l’épaule de mon père, qui continua ainsi :

— Cet homme ne connaissait que la peur et la faim. Il ressemblait à une bête. Son front était déprimé. Les muscles de ses sourcils formaient en se contractant de hideuses rides ; ses mâchoires faisaient sur sa face une énorme saillie ; ses dents avançaient hors de sa bouche. Voyez comme celle-ci est longue et pointue.

» Telle fut la première humanité. Mais insensiblement, par de lents et magnifiques efforts, les hommes, devenus moins misérables, devinrent moins féroces ; leurs organes se modifièrent par l’usage. L’habitude de la pensée