Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui dit : « N’es-tu pas ma compagne ? » Elle répond d’une voix éteinte : « Cher Oswald, adieu ! Je meurs ! » Pauvre Jeanne ! Le tombeau fut son lit nuptial, et les cloches du hameau, qui devaient sonner pour son hymen, sonnèrent pour ses funérailles.

Il y avait dans ce récit un grand nombre de termes que j’entendais pour la première fois et dont je ne savais pas la signification ; mais l’ensemble m’en sembla si triste et si beau que je ressentis, à l’entendre, un frisson inconnu ; le charme de la mélancolie m’était révélé par une trentaine de vers dont j’aurais été incapable d’expliquer le sens littéral. C’est que, à moins d’être vieux, on n’a pas besoin de beaucoup comprendre pour beaucoup sentir. Des choses obscures peuvent être des choses touchantes, et il est bien vrai que le vague plaît aux jeunes âmes.

Les larmes jaillirent de mon cœur trop plein, et Fontanet ne put, ni par ses grimaces ni par ses moqueries, arrêter mes sanglots. Pourtant, je ne doutais pas alors de la supériorité de Fontanet. Il a fallu qu’il devînt sous-secrétaire d’État pour m’en faire douter.