Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/187

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Et, cette fois, hélas ! l’émotion des jeunes années ne troubla ni mon regard ni ma voix.

Elle me reconnut sans trop de peine. Nos souvenirs nous unirent, et nous nous aidâmes l’un l’autre à charmer par des causeries la vie banale de l’hôtel.

Bientôt des liens nouveaux se formèrent d’eux-mêmes entre nous, et ces liens ne seront que trop solides : c’est la communauté des fatigues et des peines qui les forme. Nous causions tous les matins, sur un banc vert, au soleil, de nos rhumatismes et de nos deuils. C’était matière à longs propos. Pour nous divertir, nous mélangions le passé au présent.

— Que vous fûtes belle, lui dis-je un jour, madame, et combien admirée !

— Il est vrai, me répondit-elle en souriant. Je puis le dire, maintenant que je suis une vieille femme ; je plaisais. Ce souvenir me console de vieillir. J’ai été l’objet d’hommages assez flatteurs. Mais je vous surprendrais bien si je vous disais quel est, de tous les hommages, celui qui m’a le plus touchée.