Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

paraît plus fraîche dans sa robe blanche brodée, et l’on se dit, en la voyant là : « C’est, en vérité, une petite créature toute neuve ! »

Elle est indifférente à cette vaisselle d’aïeux, aux vieux portraits noirs et aux grands plats de cuivre pendus aux murs. Je compte bien que, plus tard, toutes ces antiquités lui donneront des idées fantastiques et feront germer dans sa tête des rêves bizarres, absurdes et charmants. Elle aura ses visions. Elle y exercera, si son esprit s’y prête, cette jolie imagination de détail et de style qui embellit la vie. Je lui conterai des histoires insensées qui ne seront pas beaucoup plus fausses que les autres, mais qui seront beaucoup plus belles ; elle en deviendra folle. Je souhaite à tous ceux que j’aime un petit grain de folie. Cela rend le cœur gai. En attendant, Suzanne ne sourit même pas au petit Bacchus assis sur son tonneau. On est sérieux, à trois mois et vingt jours.

Or, c’était un matin, un matin d’un gris tendre. Des liserons emmêlés à la vigne vierge encadraient la fenêtre de leurs étoiles diversement nuancées. Nous avions fini de déjeuner,