Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/51

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dans la cour. Pour la mieux voir, l’enfant maudit écarta de ses yeux les mèches de ses cheveux jaunes, et, quand elle fut à portée de son bras, il l’arracha avec le fil ; puis, relevant la tête, il me tira la langue, me fit un pied de nez et s’enfuit avec la grappe en me montrant son derrière. Mes petits amis ne m’avaient pas accoutumé à ces façons. J’en fus d’abord très irrité. Mais une considération me calma. « J’ai bien fait, pensai-je, de n’envoyer ni une fleur, ni un baiser. »

Ma rancune s’évanouit à cette pensée, tant il est vrai que quand l’amour-propre est satisfait, le reste importe peu.

Toutefois, à l’idée qu’il faudrait confesser mon aventure à ma mère, je tombai dans un grand abattement. J’avais tort ; ma mère me gronda, mais avec de la gaieté : je le vis à ses yeux qui riaient.

— Il faut donner son bien, et non celui des autres, me dit-elle, et il faut savoir donner.

— C’est le secret du bonheur, et peu le savent, ajouta mon père.

Il le savait, lui !