Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/98

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— Est-ce qu’il aime les femmes ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Oh ! ce n’est pas pour un mariage.

— Oui, il les aime. Je vous ai dit que c’était un égoïste. Il n’y a que les égoïstes qui aiment vraiment les femmes. Après la mort de sa mère, il a eu une longue liaison avec une actrice connue, Jeanne Tancrède.

Madame Martin se rappelait un peu Jeanne Tancrède, pas très jolie, mais très bien faite, d’une grâce un peu traînante dans ses rôles d’amoureuse.

— Elle-même, reprit Paul Vence. Ils vivaient presque tout à fait ensemble dans une petite maison de la cité des Jasmins, à Auteuil. J’allais souvent les voir. Je le trouvais perdu dans ses rêves, oubliant de modeler une figure qui séchait sous ses linges, seul avec lui-même, suivant son idée, absolument incapable d’écouter personne ; elle, piochant ses rôles, le teint brûlé par le fard, les yeux tendres, jolie d’intelligence et d’activité. Elle se plaignait à moi qu’il fût distrait, maussade, difficile. Elle l’aimait bien et ne le trompait que pour avoir des rôles. Et, quand elle le trompait, c’était fait tout de suite. Après, elle n’y pensait plus. Une femme sérieuse. Mais elle se laissa voir, s’afficha avec Joseph Springer, dans l’espoir qu’il la ferait entrer à la