Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/222

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pour ne les point haïr, je les méprise. Monsieur Rockstrong, je les méprise tendrement. Mais ils ne m’en savent point de gré. Ils veulent être haïs. On les fâche quand on leur montre le plus doux, le plus indulgent, le plus charitable, le plus gracieux, le plus humain des sentiments qu’ils puissent inspirer : le mépris. Pourtant le mépris mutuel, c’est la paix sur la terre, et si les hommes se méprisaient sincèrement entre eux, ils ne se feraient plus de mal et ils vivraient dans une aimable tranquillité. Tous les maux des sociétés polies viennent de ce que les citoyens s’y estiment excessivement et qu’ils élèvent l’honneur comme un monstre sur les misères de la chair et de l’esprit. Ce sentiment les rend fiers et cruels, et je déteste l’orgueil qui veut qu’on s’honore et qu’on honore autrui, comme si quelqu’un dans la postérité d’Adam pouvait être trouvé digne d’honneur ! Un animal qui mange et qui boit (Donnez-moi à boire !) et qui fait l’amour,