Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
LES DIEUX ONT SOIF

son nourrisson dans ses bras. Elle était sans mouvement, sans couleur, sans larmes, sans regard. L’enfant lui suçait le doigt avidement. Gamelin se tint un moment devant elle, timide, incertain. Elle ne semblait pas le voir.

Il balbutia quelques mots, puis tira son couteau de sa poche, un eustache à manche de corne, coupa son pain par le milieu et en mit la moitié sur les genoux de la jeune mère, qui regarda étonnée ; mais il avait déjà tourné le coin de la rue.

Rentré chez lui, Évariste trouva sa mère assise à la fenêtre, qui reprisait des bas. Il lui mit gaîment son reste de pain dans la main.

— Vous me pardonnerez, ma bonne mère : fatigué d’être si longtemps sur mes jambes, épuisé de chaleur, dans la rue, en rentrant à la maison, bouchée par bouchée, j’ai mangé la moitié de notre ration. Il reste à peine votre part.

Et il fit mine de secouer les miettes sur sa veste.